• Récit imaginaire d'un journaliste ? malheureusement non !!

    Cet été, les accidents de la route ont défrayé la chronique, après des chiffres catastrophiques en 2008. Kapital a tenté de comprendre les raisons de cette hécatombe.

     

    Kapital “Le tueur sur la route”. C’est sous ce titre que Kapital consacre un long dossier sur la sécurité routière. Du ministère de l’Intérieur aux services techniques, en passant par l’agence chargée de l’état des routes, les journalistes de l’hebdomadaire de Sofia confirment que la corruption gangrène le système à tous les niveaux. “En construisant massivement des autoroutes depuis son entrée dans l’UE, le Portugal a réussi à diviser par deux le nombre de victimes de la route, alors qu’en Bulgarie les morts continuent d’augmenter”, constate le magazine économique.

     

    Gueorgui est un personnage imaginaire. Mais l’histoire que vous allez maintenant lire est une compilation de faits réels, et ses acteurs existent bel et bien. Gueorgui n’a pas encore 30 ans et il a un travail ; son salaire est même supérieur à la moyenne en Bulgarie. Il veut absolument avoir une voiture mais n’a pas le permis. A l’écouter, la conduite ne lui pose pas de problèmes : il a appris sur la Golf de son frère et il veut aller vite avec les formalités. Il s’adresse ainsi à la “bonne” école de conduite avec le “bon” moniteur. Sur le papier, Gueorgui a fait les vingt-quatre heures de formation obligatoire. En fait, il a été suffisamment convaincant pour expliquer à son moniteur que la conduite n’avait pas de secrets pour lui. Le code ? “Tout le monde connaît le code”, s’amuse Gueorgui. Le jour de l’examen, il s’assoit à côté du moniteur, qui lui adresse un clin d’œil complice. Tout va bien. Quelques semaines plus tard, Gueorgui fait déjà la queue au guichet des permis à la préfecture et, le jour même, il fait le tour des marchés de voitures d’occasion de la capitale. Le permis lui a coûté 1 000 leva [500 euros] : 350 pour le code et 650 pour l’examen final, le tout payé sous la table.

     

    Gueorgui s’arrête devant une Peugeot. Malgré ses dix ans d’âge, la voiture n’a que 90 000 kilomètres (du moins selon le compteur), et son propriétaire l’assure que c’est une véritable affaire. Si, en plus, il “resserre quelques boulons”, il n’aura aucun problème. En prime, le vendeur lui offre le contrôle technique, ce qui finit par décider Gueorgui. La voiture lui plaît. Elle a des jantes en alliage, une bonne sono et peut faire des pointes à 150, voire 170 km/h. Le jeune homme ignore que la Peugeot vient d’une casse près de Bergame, en Italie, qu’elle a plus de 200 000 kilomètres et que son précédent propriétaire était prêt à tout pour s’en débarrasser, y compris à trafiquer son contrôle technique. Grâce à quelques milliers de leva de pots-de-vins, notre conducteur est sur les routes. Il roule beaucoup, commet régulièrement des infractions. En un an, il a été verbalisé plusieurs fois pour excès de vitesse et téléphone au volant. Lorsqu’il a de l’argent sur lui, Gueorgui paie volontiers les policiers, qui n’en demandent pas plus. Mais cela ne va jamais plus loin. Une fois, les gendarmes l’ont arrêté alors qu’il avait trop bu de vodka, sans plus de conséquences. Flashé par des radars, Gueorgui n’acquitte jamais ses amendes. Il sait que l’Etat n’a pas les moyens de le poursuivre.

     

    Si l’argent de Bruxelles n‘avait pas été détourné…

     

    Mais, après un an, la Peugeot doit de nouveau passer le contrôle technique. Pas de problème ! Tout se passe à distance. La voiture ne monte pas sur le pont, on ne contrôle pas ses freins, ni l’usure des pneus, ni l’émission de gaz carbonique… Grâce à quelques billets, Gueorgui se procure la vignette magique et, irréprochable, il reprend le volant. Nous sommes à la fin de l’été, et notre héros prend la route de la mer. Deux heures et demie plus tard, il passe déjà Stara Zagora (à mi-chemin entre Sofia et la côte de la mer Noire). Gueorgui veut arriver vite, il dépasse les longues colonnes de camions (qui ne devraient pas rouler ce jour-là). La route devient plus étroite. Théoriquement, ici devrait déjà passer la nouvelle autoroute si l’argent de Bruxelles n’avait pas été détourné. A cause d’une erreur de conception, la visibilité est très mauvaise. Le dépassement est interdit, mais Gueorgui s’en fout. Il a de l’argent sur lui et appuie sur le champignon. Mais, cette fois-ci, il y a comme un problème : le moteur de la Peugeot s’étrangle et Gueorgui est obligé de freiner avant de se rabattre. Les plaquettes de freins avant accrochent à peine, à l’arrière seule la roue gauche ralentit. Affolé, Gueorgui tente de redresser le volant. La voiture part en dérapage…

     

    Des telles histoires arrivent régulièrement sur les routes bulgares. Si vous conduisez, vous connaissez certainement au moins un Gueorgui. Pourtant, le facteur commun de toutes ces tragédies n’est pas Gueorgui, mais la corruption. C’est le fil rouge qui passe à travers tous les facteurs qui déterminent la sécurité routière. L’année dernière, 1 058 personnes ont perdu la vie dans un accident de la route. A titre de comparaison, le nombre d’homicides était de 129 personnes pendant la même période.

     

    La “guerre sur les routes” n’est pas seulement un cliché policier. Même si elle existe, l’ennemi n’est pas le chauffard irresponsable mais bien la corruption. Elle n’existe pas qu’au sein du ministère de l’Intérieur (c’est là où elle est la plus visible), mais dans toutes les institutions qui répondent de l’état des routes, du contrôle des automobilistes et de l’état technique des véhicules. Ce sont elles qui portent la responsabilité de ces morts. Vous êtes un conducteur consciencieux et prudent, un bon citoyen qui paie ses impôts ? Votre vie est quand même en danger : la corruption envoie en face de vous des tueurs potentiels. La corruption se charge de vous faire rouler sur des routes en mauvais état et de vous faire croiser des véhicules sans freins. Il y a cinq ans, l’Union européenne a commencé une campagne visant à réduire de 50 % le nombre de tués sur les routes d’ici à 2010. Des pays comme le Portugal, la France et le Luxembourg ont réussi à réduire ce chiffre de près de 48 %. En Bulgarie, le nombre de victimes ne cesse d’augmenter.

     

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